Extraits
- Prologue -
Autrefois, lorsque je croisais toute sorte de marginaux, je me questionnais toujours sur leur vie. Comment avaient-ils pu en arriver là ? Ce n'était pas de la curiosité malsaine, juste une sorte d’empathie naturelle. Une forte envie de savoir, moi qui étais presque honteuse de ma vie sans intérêt.
Ils avaient eu des parents pourtant ! Je les imaginais bébés goulus, enfants rieurs et espiègles pour les retrouver quelques décennies plus tard maigres et sales, marchant au bord d'une route, ou mendiant quelques pièces dans la rue pour acheter de quoi boire. Sûrement à des milliers de kilomètres de chez eux.
Que s'était-il passé ?
Si l'on m'avait offert un don exceptionnel, je n'aurais pas choisi d'être invisible, ni de prévoir l'avenir. Non ! J'aurais voulu avoir la capacité d'entrer dans l'esprit de ces personnes particulières et de connaître leur parcours dramatique certes, mais aventureux aussi. Cela sûrement afin de m’évader de ma morne existence, de mon quotidien sans espoir.
Et voilà ! Je n'avais pas fait de vœu en caressant une lampe magique, ni laissé couler mon sang sur un parchemin diabolique mais ce don-là venait de m'être accordé. Non pas pour étancher ma soif de curiosité charitable mais uniquement pour sauver ma propre vie.
Alors au diable marginaux et autres traîne-misère ! Ma nouvelle existence allait être passionnante !
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Marie était soucieuse, elle aimait bien la vieille dame de la chambre 420. De temps à autre elle lui parlait, lui racontait ses petits soucis, ses petites joies, heureuse de voir s'allumer un peu de lumière dans ce regard déjà éteint. Mais depuis environ trois mois, son état était critique : L’électroencéphalogramme auquel elle était reliée montrait des phases de plus en plus longues d'inactivité. Tous les jours pendant quelques heures, elle tombait dans un coma dépassé inexplicable et en ressortait tout aussi étrangement.
La dernière visite de la journée était pour Emma. La jeune infirmière entra, referma le store sur un ciel indigo, sans nuage, où la lune en croissant distillait une faible lueur orangée. Bientôt, les petites étoiles commenceraient à percer la voûte immaculée.
Depuis plusieurs jours, le beau temps du mois de mai avait poussé dans les oubliettes un avril froid et pluvieux.
Marie regarda sa vieille patiente. Jamais plus elle ne connaîtrait la caresse du soleil sur sa peau, la douceur du vent tiède dans ses cheveux !
Á cet instant, elle fut étonnée de voir s'allumer le regard de la vieille dame d'une lueur malicieuse – c'était le premier adjectif qui lui était venu à l'esprit, qu'elle s'attendit presque à la voir se lever et lui parler.
Marie posa sur la table de chevet la poche de perfusion qu'elle venait changer puis s’approcha pour lui prendre la main.
Soudain, elle fut prise d'un éblouissement tellement intense qu'elle crut s'évanouir...
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Laurent sursauta. Il avait dû s’endormir quelques instants. En bas la voix d’un homme. D'un homme jeune.
Il allait parler, dire à Adèle de s’habiller en vitesse lorsqu’il remarqua la fixité de ses yeux, la marque violacée autour de son cou. En une fraction de seconde, il se détacha de son corps et se leva. Morte ! Adèle était morte ! Mais comment…
Une violente nausée le plia en deux. Il s’appuya au montant du lit, ferma les yeux.
Sans savoir pourquoi, des souvenirs de jeunesse refirent surface avec force. Il revit le visage courroucé de son père lorsqu’il lui avait annoncé son intention d’interrompre ses études secondaires pour devenir acteur. Il voulait tourner des films, être admiré. Toutes les amies de sa mère disaient qu’il était le portrait craché d’Alain Delon. Il serait aussi célèbre que lui, il aurait le monde à ses pieds.
« Il n'y a pas de saltimbanque chez nous. Tu seras chirurgien, comme moi, sinon je te jette à la rue. Un point c’est tout ! » avait hurlé son père.
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Lorsque Laurie revint du Mac'Do, elle trouva Léo allongé sur le petit canapé, un livre à la main.
Ce n'était pas dans ses habitudes d'entrer dans son appartement lorsqu'elle n'y était pas – même s'il avait le double des clefs, et encore moins dans ses habitudes de lire. Elle s'assit à côté de lui et commença à caresser ses cheveux.
— T'es là mon cœur. Je suis contente de te voir. Je suis crevée. Il y a une famille entière qui a débarqué au moment où je finissais mon service et... Léo ? Tu ne m'écoutes pas ! Et tu lis quoi ?
La jeune fille lui prit le livre des mains.
— Amytiville la Maison du Diable ! C'est quoi ces conneries ? J'ai vu le DVD en cachette de mes parents quand j'étais petite. Après, j'ai fait des cauchemars pendant des mois et même encore quand j'y repense… Brrr ! Ce mec possédé qui tue toute sa famille, c'est horrible. Alors, tu m'expliques ce que tu fabriques avec ça ?
Léo récupéra le livre et le posa sur la chauffeuse.
— J’en sais rien Bébé. J’ai l’impression qu’il se passe des trucs bizarres. C’est tout. J’essaie de comprendre.
— En lisant des histoires de diable ? Tu sais bien que ça me fait peur.
— J’essaie juste d'avoir des réponses. Paraît que c'est une histoire vraie.
— Vraie ? Arrête Léo, tu débloques complet. C’est impossible ! Ça n’existe pas !
— Alors pourquoi tu as peur ?
— Oh ! Tu m’énerves. Et puis d’abord, c’est quoi tes trucs bizarres ? Qu'est-ce que tu veux savoir ? Qu'est-ce que tu veux comprendre ?
— J’en sais rien. Je te l’ai dit.
— Bon ! Je suis crevée et j’ai soif. Tu veux un Coca, une bière ?
Léo ne répondit pas. Il avait l’air de réfléchir, alors Laurie se leva, une moue boudeuse posée sur ses lèvres. Il n'avait même pas remarqué sa nouvelle mini-robe !
Une minute après, elle était de retour, un verre d'Orangina dans une main, une canette d'Heinekein dans l'autre. Le jeune garçon n'avait pas bougé d'un centimètre. À cet instant précis, Laurie eut le pressentiment que tout allait mal finir. Il s'assit, prit la petite bouteille qu'elle lui tendait et l'air toujours aussi étrange, continua.
— Dis-moi Bébé, tu te rappelles le film qu'on a regardé il y a quelques temps ? Le titre c'était : Le Témoin du Mal.
— Ah ça y est tu recommences ! Oui, bien sûr que je m'en souviens, il était flippant. D'ailleurs j'ai encore le DVD, là dans le meuble à cassettes. J’ai oublié de le rendre à ma copine. Pourquoi ?
Laurie était contrariée, Léo n'en n’avait pas fini avec ses histoires de diable.